Les femmes dans l’histoire du yoga
Quelles présences, sous quelles formes, quels rôles ?
E.Hutin pour Formation IVY 2022
Les différentes formes de yoga :
Hatha yoga / Asanas : peu de traces de présence de femmes dans l’histoire de ces pratiques.
Jnana yoga : idem
Bhakti yoga : yoga de la dévotion où on va plus trouver de pratiquantes femmes.
La dévotion inclut le terme: pravritti : dévotion au mari comme à un dieu. Pratique censée apporter une puissance spirituelle, c’est une forme d’austérité, d’ascétisme.Renonciation au monde : par la loi, les femmes sont interdites à la renonciation mais dans la réalité on en trouve.
Les différents « types » de femme dans l’histoire :
Les déesses
Les consorts
Formes féminines à la fois humaines et divines, équivalent féminin, compagne sexuelle ou incarnation de la shakti.Femmes
On leur attribue le pouvoir des déesses que le corps des femmes incarne, donc la frontière est très fine avec les déesses. D’ailleurs dans les pratiques tantriques, les femmes contribuent à l’évolution spirituelle des hommes dans certains rites mais sont considérées elles-mêmes comme n’ayant pas besoin de pratique. On retrouve dans cette catégorie les épouses parfaites : perfect wives dont le dharma est dicté par un texte de loi, le Manavadharmasastra. C’est le concept de pravritti.
« Bien qu'il puisse être dépourvu de vertu, adonné à la luxure et totalement dénué de bonnes qualités, une femme bonne doit toujours adorer son mari comme un dieu. Pour les femmes, il n'y a pas de sacrifice vœu ou jeûne indépendants ; une femme sera exaltée au ciel par le simple fait qu'elle a docilement servi son mari. Une femme bonne, désireuse d'aller dans le même monde que son mari, ne doit jamais rien faire de désagréable à l'homme qui lui a pris la main, qu'il soit vivant ou mort. » d’après traduction de Patrick Olivelle, The Law Code of Manu, 2004
Cela signifie qu’elle ne doit pas renoncer, ni à la vie sociale, ni à la vie familiale
Beaucoup d’exemples dans les textes de femmes qui excellent dans cette dévotion à leur mari.
Yoginis
§ Féminin du yogi, pratiquante du yoga. Souvent ce qu’on entend par yoga ne correspond pas à la pratique de celles qu’on appelle les yoginis. Sources écrites par les hommes.
§ Une femme initiée au tantra ou pratiquante de yoga ;
§ Une sorte de déesse tantrique médiévale, souvent thérianthropique et douée de vol, incarnant une myriade d'aspects du pouvoir créateur cosmique (shakti) ́. Le terme de yogini pour désigner pratiquante de yoga pourrait couvrir les pratiques de l’ascèse mais en réalité elles-mêmes s’appellent des sadhvi, équivalent des saddhus. Quelques femmes dans le Nirvrtti dharma : voie de la renonciation.
Dans les Upanishads, les connaissances du foyer d’un côté et de la philosophie et de la religion de l’autre semblent d’exclure. Quelques personnages de femmes ayant eu accès à la célébrité, plus connues comme saintes que comme gurus. Tous les gurus sont saints mais tous les saints ne sont pas gurus. Traces à travers leurs poésies comme Lalla Led ou Mirabai, ou hagiographies.
Resilience : to stand in the path of lightning
Resilience : to walk when darkness falls at noon
Resilience : to grind yourself fine in the turning mill
Resilience will come to you
Résilience : se tenir sur le chemin de la foudre
Résilience : marcher quand l'obscurité tombe à midi
Résilience : se moudre finement dans le moulin à tourner
La résilience viendra à vous
Lalla (14ème siècle)
Quelques exemples d’ascètes :
o « Les singes furent assez terrifiés en la voyant : elle portait la peau d'une antilope noire, elle mangeait visiblement très peu et elle flamboyait par la puissance de ses austérités. /ascétisme. »
(Ramayana)
o Exemple de Parvati qui embrasse une pratique ascétique pour obtenir le mariage avec Shiva. Tapas normalement comme une renonciation au monde, au désir, à l’amour alors que Parvati essaie de gagner l’amour de Siva.
o Exemple de Sulabha, personnage du Mahabharata, ascète, spirituellement réalisée. Elle entend parler du roi Jhanaka qui aurait atteint la libération totale. Cela lui parait étonnant qu’un roi cerné par les richesses et ses devoirs de roi puisse atteindre la libération totale. Donc elle va vérifier et prend l’apparence d’une belle jeune fille pour être reçue à la cour. Elle utilise ses pouvoirs yogiques pour entrer dans le corps du roi. A l’intérieur du corps du roi, ils débattent tous les deux sur le genre, sur la nature humaine, sur la composition du Soi. Le roiest indigné qu’elle est intégrée son corps parce qu’il reste accroché à l ’idée que le genre est une caractéristique définitive des gens dans le monde alors qu’elle est au-delà du genre. Elle ne voit pas cela comme pertinent.
o A partir du 18ème siècle, la religiosité des femmes est davantage valorisée, notamment avec la diffusion de la tradition Hindou dans le monde occidental et à des couples gurus connus comme Parmahansa Yogananda avec Daya Mata (American born), Shivananda avec Shivananda Radha (Canadian born), Sri Aurobindo avec Mirra Alfassa (française)
o A partir du 21ème siècle, on voit l’avènement des gurus femmes qui n’ont plus besoin de gurus hommes et avec un culte rituel formalisé comme Amma, Meera Ma (Allemagne) ou Karunamayi Ma (Inde)
Les yoginis dans le tantra
o Un problème d'interprétation majeur entoure les yoginīs : le terme peut s'appliquer à la fois aux déesses et aux praticiennes, dont la frontière est souvent floue. C'est en partie parce que la yoginī représente un état d'être accessible aux femmes par la perfection dans le rituel tantrique. Les taxonomies reflètent cela, faisant entrer dans la rubrique des yoginī non seulement de puissantes divinités de culte et des déesses mineures du ciel, des mondes souterrains et des lieux de pèlerinage, mais aussi des femmes de la ville et du village, dont chacune pourrait secrètement être une yoginī. La divinisation féminine fait donc partie intégrante des cultes yoginis tantriques, et l'étude des yoginis est cruciale pour reconstruire les rôles des femmes dans les traditions tantriques.
o Définition yogini tantra : Un démon féminin ou une divinité ou tout être doté d'un pouvoir magique, une fée, une sorcière, (représentée par huit) (source : Monier-Williams Sankkrit dictionnary).
Formalisées dans l’hindousisme sous forme de 64 divinités à partir du 10ème siècle.
o Dans le Tantra, les yoginis font l’objet d’un culte. Elles sont souvent par groupes, peuvent se manifester sous formes humaines, sont organisées par clan, peuvent changer de formes, représentent une forme de danger, d’impureté et de pouvoir, sont actives dans la transmission de savoirs ésotériques, savent voler. Elles sont puissantes, féroces, indomptables, on voit le parallèle avec les sorcières du monde occidental. Figure subversive
« Les Yoginis dont les cultes étaient au cœur des pratiques Kaula avaient les caractéristiques suivantes : elles étaient un groupe de divinités féminines puissantes, parfois martiales, auxquelles les « sorcières » humaines étaient identifiées dans la pratique rituelle ; leur pouvoir était intimement lié à l'écoulement du sang, à la fois leurs propres émissions sexuelles et menstruelles, et le sang de leurs victimes animales (humaines ?) ; elles étaient essentielles à l'initiation tantrique dans laquelle elles initiaient les pratiquants par des transactions fluides via leur « bouche » ; elles possédaient le pouvoir de voler ; elles prenaient la forme d'humains, d'animaux ou d'oiseaux, et habitaient souvent des arbres ; elles étaient souvent disposés en cercles ; leurs temples étaient généralement situés dans des zones isolées, sur des collines ou des proéminences et étaient généralement ronds et souvent hypaethral. » Kiss of the yogini, David Gordon White 2006.
o Elles n’ont jamais été représentées comme pratiquantes du yoga pour la simple raison que le yoga tel qu’on le connait aujourd’hui n’existait pas encore. Le yoginī incarne le yoga dans ce sens de pouvoir numineux : des réalisations surnaturelles qui, selon le Yogasūtra de Patañjali, se déploient grâce à une parfaite maîtrise de la discipline yogique.
Aujourd’hui, 80% des pratiquants sont des femmes, ce qu’on peut expliquer par différents facteurs culturels et sociaux contemporains. Mais c’est une réalité totalement intégrée à l’histoire du yoga moderne. A partir du 19ème-20ème, le yoga moderne nait : un mix entre le yoga traditionnel et l’intégration de pratiques physiques occidentales comme la gym ou les danses ésotériques ce qui expliquerait le succès du yoga auprès des femmes. (source : Mark Singgleton) Dès 1908, on trouve des livres écrits par les femmes sur le yoga comme L’introduction au yoga par Annie Besant, anglaise. Autres facteurs présents au début du 20ème siècle : le yoga propose une alternative aux sports censés épuiser le corps alors que le yoga le vitalise et une alternative à la stigmatisation des sportives souvent considérées comme masculines, faisant des mouvements indécents et portant des tenues provocantes.